Célébré par les plus grandes stars de la pop, Brian Eno et Damon Albarn en tête, Tony Allen est devenu avec le nouveau millénaire cette icône adulée dont l’extraordinaire finesse de jeu rayonne aujourd’hui sur le monde de la batterie. Disparu dans sa quatre-vingtième année, le 30 avril 2020, le natif de Lagos, fleuron de la musique nigériane, avait atteint une sorte de graal avec la sortie, sur le label Blue Note, de son album The Source (2017). L’artiste aura connu deux vies bien chargées en chefs-d’oeuvre : l’une avec Fela Kuti, l’autre sous son nom.
PIONNIER LÉGENDAIRE DE L’AFROBEAT
Dans les années 60 et 70, Tony Allen aura d’abord été le batteur et le directeur musical de son compatriote Fela Kuti, avec qui il créa l’afrobeat : un genre à part entière, hypnotique et répétitif, mêlant highlife, rythmes yoruba, jazz et funk. Et qui devint l’un des courants fondamentaux de la musique africaine du XXe siècle. Sur cette musique surpuissante, Fela greffe ses paroles révolutionnaires et panafricanistes qui feront de lui l’un des symboles forts de la lutte pour la liberté en Afrique. Avec Fela et le groupe Africa 70, Tony Allen va enregistrer une quarantaine d’albums, avant que les chemins des deux complices ne se séparent en 1978. « Sans lui, il n’y aurait pas eu d’afrobeat », déclare volontiers Fela qui devra trouver, à son départ, quatre (!) batteurs pour le remplacer.
DÉNICHEUR DE TALENTS
Installé en France en 1986, Tony Allen a notamment contribué à l’effervescence de la jeune scène africaine parisienne, d’où ont émergé Mory Kanté, Alpha Blondy, Ray Lema ou Salif Keïta. Comme eux, Cheick Tidiane Seck concrétise cette « sono mondiale » rêvée par Jean-François Bizot. Le Malien est l’un des premiers à travailler avec Tony Allen sur des compositions transafricaines mais aussi Ray Lema et le regretté et immense Manu Dibango. Qu’importe la couleur musicale, le maître rythmicien côtoie Doctor L ou Sébastien Tellier sur l’album Politics. Mais aussi son grand ami Damon Albarn au sein de The Good, the Bad and the Queen (2006) avec Paul Simonon (The Clash), de Gorillaz ou du supergroupe Rocket Juice and The Moon en 2012. L’Anglais, encore présent sur l’album Film of Life de Tony Allen sorti en 2015, lui rend hommage sur le sublime « Go back ». Damon Albarn avait promis à Tony de fêter ses 80 ans en grande pompe au Royal Albert Hall de Londres. Disparu quelques mois plus tôt, la soirée-anniversaire n’a pu avoir lieu mais Damon n’a pas oublié sa promesse en orchestrant, fin 2021, une rétrospective au London Jazz Festival.
L’ESPRIT DE LA CÉLÉBRATION
Les artistes, en résidence pendant deux jours à Toulouse et réunis sur la Prairie pour cet hommage exceptionnel, ont une proximité avec Tony Allen. Son manager Eric Trosset, qui a favorisé ses rencontres les plus fructueuses (Damon Albarn, Oumou Sangaré, Angélique Kidjo, Air, Charlotte Gainsbourg et Jeff Mills) a rassemblé pour cette soirée les compagnons de route indéfectibles du batteur. En tête, Jean-Philippe Dary, qui a longtemps dirigé l’orchestre de Tony Allen et qui est, avec Cheick Tidiane Seck, l’autre pilier de cet hommage. Mais aussi les saxophonistes ténor Jean-Jacques Elangué et baryton Yann Jankielewicz, le directeur musical Vincent Taeger ou la grande griotte Mah Damba et son fils Guimba Kouyaté, musicien de Oumou Sangaré, amie de Tony Allen. La voix habitée de l’Américain Allonymous répondra à la soul généreuse de la Centrafricaine Emma Lamadji. Sans oublier le rappeur franco-malien Oxmo Puccino qui, avec tout le talent poétique et la singularité qu’on lui connaît, avec un texte du poète et romancier nigérian Ben Okri. Entre esprit de célébration, show survolté et émotion partagée, cette soirée « Spirit of the drum » restera dans les annales du festival Rio Loco. Comme le tempo immuable qu’aurait volontiers insufflé de son vivant, ce génie du rythme, métronome du cœur, à l’oreille de la Garonne. Pour faire danser l’éternité.